Supply Chain Village

Par Vincent Bonnot, Directeur Commercial SEMEA, H2O.ai, éditeur de logiciels dans la Silicon Valley, leader sur le marché de l’Intelligence Artificielle et du Machine Learning.

Les récents bouleversements subis par l’économie mondiale mettent en évidence des inefficacités endémiques masquées par la gestion des stocks en flux tendus. La bonne nouvelle est que des approches innovantes sont apparues « juste-à-temps ».

Il a suffi d’un seul bateau, certes assez imposant, mesurant 400 m et pesant 200 000 tonnes, heurtant un côté du canal de Suez et restant bloqué durant six jours en mars dernier, pour paralyser la chaîne d’approvisionnement mondiale, pour un coût se chiffrant à 10 milliards de dollars.

Ce n’est pas surprenant, étant donné que 12% du commerce international, un million de barils de pétrole environ et presque 8% de toute la consommation mondiale de gaz naturel liquéfié transitent chaque jour par le canal de Suez. Le blocage de l’Ever Given est un rappel brutal de l’interconnexion et de la fragilité de l’économie mondiale.
Un rapport paru récemment dans Business Insider sur la crise mondiale du transport maritime indique que : « La pandémie a brisé la chaîne d’approvisionnement l’année dernière, et les compagnies maritimes qui transportent des marchandises partout dans le monde ne s’en sont toujours pas remises ».

Même en dehors du problème du canal et de la COVID-19, l’acheminement des marchandises jusqu’à l’usine et au consommateur est un processus qui reste très complexe, impliquant plusieurs variables aléatoires. Le rapport de l’EMSA sur les accidents maritimes de 2011 à 2019 a souligné que 25 214 navires ont été impliqués dans des incidents, et que ceux-ci peuvent facilement représenter une perte annuelle de197 millions de dollars (chiffres de 2017) dans la chaîne d’approvisionnement.

Nous sommes donc confrontés à deux défis. Premièrement, nous devons permettre à la chaîne logistique de revenir aux niveaux de fiabilité qu’elle offrait avant la crise sanitaire mondiale. Deuxièmement, nous devons trouver un moyen de renforcer la fiabilité et l’efficacité de cette ressource vitale pour le monde. Pour répondre à ces défis, il est nécessaire de tirer parti d’une meilleure utilisation de la technologie et des données, c’est-à-dire profiter d’un ensemble de nouvelles technologies ayant prouvé leurs valeurs et fonctionnant en tandem, mais finalement gérées et optimisées par une seule : l’intelligence artificielle (terme que j’utiliserai dans ce cas, bien que strictement parlant nous parlons de
‘Machine Learning’ : apprentissage automatique de modèles informatiques complexes qui s’enrichissent automatiquement par l’expérience et par l’utilisation des données).

L’essentiel de l’approche s’appuiera sur notre rapidité opérationnelle à développer et implémenter ces nouveaux modèles et approfondir notre granularité dans les prévisions. Au lieu de regarder ces dernières à la semaine, nous devons être beaucoup plus précis et passer à un niveau quotidien, voire horaire. Et à mesure que nous obtenons de plus en plus de données venant de la chaîne d’approvisionnement, nous pouvons commencer à tracer les produits dans la chaîne logistique, et nous ajuster de manière dynamique face à des évènements ou situations tels que le canal de Suez ou la COVID-19 – ou tout évènement que nous réserve le futur, tel que les problèmes liés aux changements climatiques ou à l’instabilité politique.

Pourquoi la stratégie du « juste-à-temps » n’est plus suffisante

Commençons par les premiers principes. La chaîne d’approvisionnement est compliquée et comporte des flux physiques de plus en plus interconnectés en raison de la complexité croissante des gammes de produits et des liens multiples tout au long de la chaîne logistique allant du fabricant jusqu’au consommateur. Ainsi, dès qu’apparaît une instabilité du marché comme l’Ever Given ou un nouveau Coronavirus, et si la chaîne d’approvisionnement n’est pas agile et flexible, elle impacte de manière conséquente l’acheminement des produits d’un point A à un point B.

Les entreprises essaient de gérer leurs flux en étant aussi agile et flexible que possible, et en appliquant des processus qui réagissent rapidement et utilement à tout changement de situation afin que la chaîne logistique puisse s’adapter. C’est très abstrait, alors plaçons-nous dans un contexte commercial : l’un des gros problèmes rencontrés par les fournisseurs est, soit qu’ils ont un fonds de roulement trop important (par exemple un sur-stockage automatique pour faire face aux aléas du marché), soit que leur gestion des stocks est la plus Lean possible, mais avec un risque élevé d’avoir un stock trop faible et finalement une rupture dans la chaîne de production.

Certains diront qu’ils pratiquent déjà le juste-à-temps. Le problème avec cette approche est qu’elle n’est efficace que dans le meilleur des mondes. Dès que le marché devient instable, alors qu’il repose dorénavant sur de très nombreux éléments interconnectés, le juste-à-temps devient de plus en plus compliqué. Et lorsque l’on prend en compte la fragilité du marché, du fait de la chaîne d’approvisionnement, alors nous faisons face à des difficultés. Il y a donc lieu de s’assurer de pouvoir, pour utiliser un terme de 2020, « pivoter rapidement ». Hors incidents du type Suez, lorsqu’il est question de pouvoir pivoter, c’est-à-dire d’avoir une meilleure logistique, il devient nécessaire de mieux gérer l’optimisation des stocks, sans tomber dans le biais de sur-stockage ou de flux trop tendu.

Il faut aussi relever le défi du changement des comportements d’achat des consommateurs. Les fournisseurs doivent donc s’adapter rapidement pour garantir le bon produit, au bon endroit et au bon moment. Il s’agit d’un autre enjeu de l’optimisation de la chaîne : comment s’assurer de suivre le comportement d’achat des consommateurs (alors que les marchandises s’acheminent dans la chaîne d’approvisionnement), et veiller à toujours minimiser les coûts de livraison et de logistique, tout en maximisant les ventes ?

Certes, il est plus facile d’essayer de minimiser les coûts de livraison et de logistique, mais on finit par ne pas avoir les bons produits au bon endroit et au bon moment. Autre conséquence d’autant plus visible alors que nous sortons de la crise de la COVID-19, c’est l’inflation générée par la forte demande. Les entreprises doivent lutter contre une augmentation des coûts concernant les matières premières, l’énergie, et les ressources humaines, tout en continuant à produire des produits de haute qualité, mais à un coût abordable. La question que les entreprises doivent se poser est : comment améliorer l’efficacité de ma production d’une manière innovante et qui n’a jamais été tentée auparavant pour répondre à cette nouvelle situation ?

La donnée : matière première de la chaîne d’approvisionnement

Je suis convaincu que l’utilisation efficace des données à tous les niveaux du processus de fabrication, de distribution et de logistique est la seule réponse réaliste à ces multiples défis. La donnée sert de matière première à une technologie de pointe qui, à son tour, apportera des données et les approfondira, tout au long de la chaîne logistique.

Bien qu’il ait été indéniablement trop médiatisé dans le passé, l’Internet des objets (IoT) est ici essentiel. L’utilisation de capteurs intelligents au fur et à mesure que le produit s’achemine dans la chaîne logistique, notamment ceux situés au stade de la fabrication, permet de capturer plus d’informations pour, par exemple, repérer rapidement un défaut dans un produit individuel, un lot, un emplacement ou même un processus entier.

Nous parlons ici de données massives. Le cabinet IDC estime que les appareils IoT connectés génèreront 73,1 zettaoctets de données d’ici 2025, contre 18,3 en 2019 (un zettaoctet correspond à un billion de gigaoctets, soit plus de 70 billions de gigaoctets). Au fur et à mesure que les quantités de données sont produites dans le processus de fabrication, il est de toute évidence nécessaire d’accéder à une puissance de calcul et de stockage phénoménale pour le faire fonctionner, et à un coût abordable : c’est là que le Cloud Computing joue un rôle majeur. De plus, l’avènement de la 5G permettra d’obtenir un très haut niveau de granularité des données qui pourront être transférées vers un environnement Cloud en temps quasi réel. Le grand bénéfice de la 5G, comme de la 4G en son temps, est sa capacité à faire transiter des quantités massives de données ; en fin de compte, la 5G est davantage une avancée pour les industriels que pour les consommateurs.

Abordons maintenant l’automatisation de la livraison. Via des véhicules autonomes ou des drones, elle présente l’avantage de réduire les coûts liés à l’intervention humaine, mais aussi, d’accéder plus facilement à des zones rurales difficiles. Je pense que nous pouvons tous convenir que si l’on combine l’IoT, le Cloud et la 5G, même dans la chaîne d’approvisionnement la plus complexe, on obtiendra beaucoup plus de visibilité – plus de données générées, plus rapidement transférées et plus massivement stockées. Et si les nouveaux développements technologiques majeurs engendrent plus de données, à grande échelle et à très faible latence/haute vitesse, comment mieux les exploiter ? A l’évidence avec l’Intelligence Artificielle (IA).

Comprendre avec précision quelle sera la demande

Pensez simplement à ce que l’IA apportera : pour la première fois, les marques seront en mesure de comprendre avec précision quelle sera la demande pour chacun de leurs produits, à quel endroit, mais aussi, en fonction de cette demande, à quel prix de marché optimal pour vendre les produits ?

Avec cette vision complètement transparente de la demande, on bénéficie finalement d’un contrôle complet de la chaîne logistique car il est possible également de gérer le prix et comprendre son impact sur la demande, étant donné que ce sont des leviers pour le contrôler. Ce qui signifie que l’on sera en mesure de réduire le montant du fonds de roulement nécessaire et d’atténuer les ruptures de stock ; cela permet d’augmenter la satisfaction client car l’on disposera de produits fiables, de diminuer le coût de production des produits en réduisant le taux de rejets en phase de fabrication et d’optimiser la livraison tout au long de la chaîne d’approvisionnement.

L’IA, désormais utilisée au cœur des chaîne d’approvisionnement

Le Machine Learning se situe donc au sommet de l’utilisation d’un ensemble clé de technologies nouvelles et passionnantes qui génèrent la transformation digitale de la chaîne d’approvisionnement.

La question qui se pose par la suite est : existe-t-il actuellement des entreprises qui ont concrètement lancé cette démarche, ou s’agit-il simplement d’un objectif ?

L’entreprise pour laquelle je travaille, H2O.ai, accompagne un certain nombre de clients européens dans ce domaine, notamment d’importantes entreprises dans différents secteurs : biens de grande consommation, santé, nourriture et boissons. Toutes ces entreprises utilisent l’IA en vue d’obtenir des prévisions très granulaires pour tous leurs produits et leur portefeuille de détaillants. L’IA est désormais utilisée au cœur de leur chaîne logistique pour scruter automatiquement le prix des produits afin de mieux gérer les promotions, avertir de la cannibalisation qui peut exister au sein de leurs portefeuilles de produits et scanner la concurrence 24h/24 et 7j/7 pour prédire les besoins.

Pour exemple, l’un de nos clients prédit le prix des œufs en fonction de différentes étapes de sa chaîne logistique. Un producteur de myrtilles a optimisé sa chaîne d’approvisionnement avec l’IA pour prédire la fraîcheur et la détérioration de ses livraisons afin de garantir que, lorsque les fruits arrivent chez le détaillant ou chez le client, c’est avec la certitude d’une fraîcheur optimale.

Où les produits se trouvent-ils exactement, et dans quel état ?

Pour ma part, ce dernier exemple résume parfaitement les avantages offerts avec une vision holistique vraiment optimisée de la localisation exacte des produits (et de leur état), du point de vue client. Et je pense que de plus en plus d’entreprises vont commencer à utiliser les données, la technologie et l’IA pour arriver à ce résultat.
Cela nous donnera une efficacité et une optimisation accrues de la chaîne d’approvisionnement, lui apportant plus d’agilité et de flexibilité.

Il y a en outre des domaines où l’on commencera bientôt à utiliser l’IA et les données pour offrir de nouveaux produits et de nouveaux services : mais se concentrer sur le rééquilibrage de la chaîne logistique mondiale suite aux perturbations liées au canal de Suez et à la COVID-19 est probablement plus que suffisant pour le moment.

Publiée le 21 août 2021 par Supply Chain Village